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Galinié, Husi, Motteau et al. 2014
Galinié H., Husi P., Motteau J. et al. – Des Thermes de l’Est de Caesarodunum au Château de Tours. Le site 3, Recherches sur Tours 9, 50e supplément à la Revue Archéologique du Centre de la France, FERACF, Tours, 180 pages + [partie électronique]

3-2 | Section 2 – Interprétation sociale des sites à partir de la céramique et des autres mobiliers.

Les propositions logicistes de la section 2 ont comme objectif d’évaluer la pertinence de la céramique comme source de hiérarchisation fonctionnelle des sites et sociale des occupants en regard des autres mobiliers archéologiques. En effet, les récipients en terre cuite représentent une vaisselle du quotidien, sans grande valeur ajoutée à la différence d’autres mobiliers plus luxueux. La question posée ici, à partir d’un corpus céramique important issu de sites de natures différentes, est de savoir si les caractéristiques intrinsèques de ce témoin de la vie domestique, sont à elles seules suffisamment discriminantes pour confirmer une hiérarchisation sociale déjà observées par ailleurs sur les sites mobilisés. Pour certains sites révélant un corpus suffisant, une analyse des données a permis de comparer la céramique aux autres objets afin de voir si les deux sources révèlent les mêmes orientations d’une qualité de mobilier en rapport avec la nature des sites ou apportent des informations complémentaires voire divergentes. Comme précédemment, cette modélisation logiciste s’articule autour d’un diagramme résumant des chaînes opératoires d’inférence entre propositions (Bloc 2, section 2) et d’analyses archéo-statistiques des données (intro 3-4 ; Bloc 4).

Synthèse historique de la section 2

Le mobilier archéologique étant globalement considéré comme un bon marqueur social, il s’agit ici d’évaluer la place de la céramique, vaisselle et emballage, en regard des autres objets à notre disposition comme indicateur du statut des populations résidents sur les sites mobilisés. Bien sûr, les pièges sont nombreux. Pris dans sa globalité le mobilier ne reflète pas vraiment une population socialement homogène mais souvent la présence parmi d’autres d’une population particulière plus aisée avec la présence de mobilier luxueux souvent ostentatoire.

Nous faisons ici le choix d’un classement fonctionnel des sites, préalable à l’analyse de la céramique et plus globalement du mobilier, en quatre grandes catégories : castral-résidentiel, monastique, civil urbain, civil rural. Un autre choix consiste à réaliser une étude diachronique du 6e au 19e s., sans tenir compte d’un découpage en grandes périodes, l’objectif étant ici d’évaluer globalement l’apport de la céramique comme source d’interprétation sociale. Fonder l’analyse sur un corpus périodisé aurait eu pour conséquence d’introduire une grande disparité, une atomisation, voire une quasi-absence de données pour certains types de sites, choix plus négatif que source d’explication pour identifier des grandes tendances entre sites.

La courte synthèse historique suit une lecture empirico-inductif, d’inférence par généralisation des observations (de gauche à droite du diagramme). L’analyse d’abord de la vaisselle en terre cuite à partir des techniques utilisées (P0-1) des décors ostentatoires (P0-2), de la fonction et de l’éventail des formes de récipients (P0-3 ; P0-6), mais également de la présence de récipients en verre et très secondairement en métal (P0-4 ; P0-5) montrent que la vaisselle de qualité se retrouve essentiellement sur les sites monastiques, puis castraux au détriment des autres sites urbains et ruraux (P1-1). L’étude de la consommation du beurre importé de Normandie dont témoignent les emballages retrouvés dans les sites de consommation du BLM va dans le même sens avec une concentration de ces récipients sur les sites castraux puis monastiques (P0-7). Les objets personnels de parures (P0-8), de divertissement (P0-9) parfois très luxueux, d’outillages (P0-10) attestent un clivage socio-fonctionnel des sites, proches de celui révélé par la vaisselle. Cependant, il existe une certaine nuance puisque la grande diversité des objets comme les plus luxueux d’entre eux sont principalement attestés sur les sites castraux au détriment des sites monastiques (P2-1). Bien que cette analyse aille dans le sens d’une hiérarchie sociale des sites largement pressentie, un apport intéressant de cette contribution est la pertinence de la vaisselle en terre cuite (P1-1) par rapport aux autres objets (P2-1) comme source explicative de la place non négligeable tenue par les sites monastiques dans cette hiérarchie, comparés aux sites castraux. Ce résultat est d’autant plus original qu’il est ici étayé par une analyse fine de données issues d’un large éventail de sites.

Proposition de niveau 0

P0-1 : La céramique non tournée entre le 6eet le 10e s. est plus fréquente sur les sites ruraux ou périurbains.

données
Effectif non tournée sauf chamottéeEffectif chamottée (corpus quantifié)*Corpus Total (5e-10e s.)Non tournée sauf chamottée sur corpus totalChamottée sur corpus totalNon tournée dont chamottée sur corpus totalPart des productions non tournées dont chamottées en fonction du statut des sites
178118849,40 %0,10 %9,50 %64,50 %
1853529316,30 %1,20 %7,50 %
1562733404,70 %0,80 %5,50 %35,50 %
36120371,80 %0,00 %1,80 %
Représentation des productions du haut Moyen Âge non tournées dont la céramique chamottée en fonction du statut social des sites (en NMI).* Ne sont pris en compte ici que les sites pour lesquels la céramique chamottée a été quantifiée, le corpus de sites étant moins important que celui mobilisé pour l'étude thématique.

Les récipients du haut Moyen Âge non tournés, chamottés pour les cloches de cuisson, généralement produits localement sont majoritairement présents sur les sites ruraux et monastiques (64,5 %) alors qu’ils restent plus marginaux sur les sites urbains et castraux (35,5 %). En revanche, la part de ces productions est globalement faible par rapport au céramiques tournées avec au plus 9,5 % du corpus général pour les sites monastiques.

P0-2 : La part de la vaisselle en terre cuite ostentatoire est mieux représentée sur les sites monastiques, secondairement castraux.

données
Statut siteProductions remarquablesDécors remarquablesProductions et décors remarquablesCorpus TotalPart productions remarquables
Monastique2161022638195,90 %
Castral résidentiel2976836584834,30 %
Civil rural1383519851263,90 %
Civil urbain162917166012,60 %
Représentation de la vaisselle en terre cuite remarquable, ostentatoire (décor, traitement de surface), en fonction du statut social des sites (en NMI).

Près de 6 % de la vaisselle des sites monastiques est remarquable, au sens de décorée ou possédant un revêtement de surface, part plus élevée que celle recensée pour les autres sites, notamment castraux (4,3 %).

P0-3 : La part la plus élevée des récipients liés au service de table correspond aux sites monastiques, secondairement castraux.

données
Statut siteCuisson / préparation / conservationTable et serviceTransport domestiqueAutreEffectif total (Nombre de récipients)
Monastique1261932232198
Castral résidentiel332914971114838
Civil urbain297511651644160
Civil rural2037699902745
Effectifs des récipients suivant leurs fonctions et le statut social des sites (en NTI).
Statut siteCuisson / préparation / conservationTable et serviceTransport domestiqueAutre
Monastique57,40 %42,40 %0,10 %0,10 %
Castral résidentiel68,80 %30,90 %0,20 %0,00 %
Civil urbain71,50 %28,00 %0,40 %0,10 %
Civil rural74,20 %25,50 %0,30 %0,00 %
Représentation fonctionnelle des récipients suivant le statut social des sites.

Plus de 42 % de la vaisselle des sites monastiques est attribuable à la table ou au service, cette part ne dépassant qu’à peine 30 % pour les sites castraux, taux encore inférieurs pour les sites relevant d’un autre statut social.

P0-4 : La vaisselle en verre est bien représentée sur les sites monastiques et castraux.

données
Statut siteNombre de vaisselles en verreCorpus total de mobilier autre que céramique (objets/verre)Nombre de vaisselles en verre sur corpus total de mobilier autre que céramique
Monastique10119651,50 %
Castral résidentiel10797011,00 %
Civil urbain357184,90 %
Civil rural184124,40 %
Représentation des vaisselles en verre en fonction du statut des sites.

Plus de 50 % des mobiliers non céramique correspond à la vaisselle en verre sur les sites monastiques ici représentés par l’unique site de Marmoutier. Ce taux tombe à 11 % pour les sites castraux et à moins de 5 % pour les autres sites.

P0-5 : Les deux seuls fragments de vaisselle en métal ont été mis au jour sur un site castral.

Statut siteLieuNum. EnsembleVaisselleNombre de vaisselles en métal
Castral résidentielTours20.04Vaisselle (fer)1
Castral résidentielTours20.05vaisselle (fragment Bz)1
Fragments de vaisselle en métal mis au jour sur l'ensemble du corpus d'objets.

Les deux seuls indices représentatifs d’une vaisselle en métal ont été mis au jour sur le site du château de Tours. Bien qu’insuffisants pour conforter l’hypothèse d’une vaisselle plus prestigieuse qu’ailleurs, ces objets témoignent dans une moindre mesure de la grande variété des types de vaisselles présents sur certains sites castraux.

P0-6 : L'éventail des formes de vaisselle en terre cuite est plus large pour les sites castraux et civils urbains que ruraux et monastiques.

Statut sitePotMarmitePoëlePoëlonLèchefriteTerrineMortierCloche cuissonCouvercleCruchePichetBouteilleGobeletTasseBolPlatCoupeAssietteRéchaudGourdeTonneletAlbarelloPrésentsAbsentsRatio des formes présentes
castral résidentielPAbsPAbsPPPPPPPPPPAbsPPPPPPP19386,40 %
civil urbainPPPAbsPPPPPPPPPAbsAbsPPPPPAbsP18481,80 %
monastiquePAbsPAbsPAbsPAbsPPPAbsPPPPPPAbsPAbsP15768,20 %
civil ruralPAbsPPPAbsPPPPPPPAbsPPPAbsAbsPAbsAbs15768,20 %
Présence/Absence (P et Abs) et ratio des grandes formes de récipients en fonction du statut social des sites.

L’éventail des formes de vaisselle en terre cuite est plus important sur les sites castraux et civils urbains atteignant plus de 80 % de l’ensemble des formes recensées alors que ce taux ne dépasse pas 68 % pour les sites plutôt périurbains ou ruraux.

P0-7 : La part des pots à beurre normands ou lavallois issus de contextes domestiques à partir du 14e s. est majoritaire sur les sites castraux puis monastiques.

données
Statut siteNombre de pots à beurreCorpus de céramique total (14e-18e s.)Nombre de pots à beurre sur corpus céramique total
Castral résidentiel13132314,10 %
Monastique5217233,00 %
Civil urbain7139651,80 %
Civil rural48800,50 %
Représentation des récipients servant au transport du beurre à partir du 14e s. suivant le statut des sites (en NMI).

Les pots servant au transport du beurre normand ou breton mis au jours dans le BLM à partir de la fin du 14e s. représentent plus de 4 % du corpus des récipients en terre cuite des sites castraux, 3 % pour les sites monastiques. Il est inférieur à 2 % pour les sites civils urbains, ne dépassant pas 0,5 % pour les sites ruraux.

P0-8 : La forte présence d'objets personnels dont les plus luxueux se retrouvent sur les sites castraux.

données
Statut siteNombre de vaisselles en verreCorpus total de mobilier autre que céramique (objets/verre)Nombre de vaisselles en verre sur corpus total de mobilier autre que céramique
Castral résidentiel12597012,90 %
Monastique151967,70 %
Civil urbain417185,70 %
Civil rural204124,90 %
Représentation des objets personnels en fonction du statut des sites.

Près de 13 % des objets des sites castraux sont attribuables à la parure ou à la toilette alors que ce taux est inférieur à 8 % pour les sites relevant d’un autre statut social.

P0-9 : Les objets de divertissement sont globalement majoritaires sur les sites castraux, uniquement présents dans ces contextes pour les plus précieux d'apparat.

données
Statut siteNombre d'objets de divertissementCorpus total de mobilier autre que céramique (objets/verre)Nombre d'objets de divertissement sur corpus total de mobiliers autre que céramique
Castral résidentiel939709,60 %
Monastique21961,00 %
Civil urbain57180,70 %
Civil rural04120,00 %
Représentation des objets de divertissements (jeux, musique) en fonction du statut des sites.

Près de 10 % des objets des sites castraux sont attribuables au divertissement contre moins de 1 % pour les autres sites allant jusqu’à une absence d’objets relevant de cette fonction pour les sites ruraux. Parmi ces objets on recense quelques pions de jeux ou d’apparat en ivoire, véritables marqueurs sociaux issus du site du château de Tours (Galinié, Husi, Motteau 2014)

P0-10 : Les outils, notamment mais pas seulement, en relation avec l'agriculture sont majoritairement retrouvés sur les sites ruraux.

données
Statut siteNombre d'outilsCorpus total de mobilier autre que céramique (objets/verre)Nombre d'outils sur corpus total de mobilier autre que céramique
Civil rural314127,50 %
Civil urbain347184,70 %
Castral résidentiel209702,10 %
Monastique21961,00 %
Représentation des outils et des objets liés à l'outillage en fonction du statut des sites.

En se référant au statut social des sites, les outils en grande partie en relation avec l’agriculture, autrement dit relatifs aux travaux des champs, sont logiquement mieux représentés sur les sites ruraux, avec 7,5 % du mobilier autre que céramique, que sur les autres sites.

Proposition de niveau 1

P1-1 : Les sites monastiques puis castraux diffèrent des autres sites par une proportion plus importante de vaisselle en terre cuite ostentatoire liée au service de table, la présence de vaisselle de verre, ainsi que la consommation de beurre importés de régions voisines.

La vaisselle analysée dans le temps long couplé à quelques autres indices matériels, montre que la population la plus aisée se concentre d’abord sur les sites monastiques et castraux, les sites ruraux restant largement ancrés dans une économie locale, aucunement ostentatoire.

Antécedents
Proposition P1-1  basée sur

Proposition de niveau 2

P2-1 : Alors que la qualité de la vaisselle des sites castraux et monastiques est proche, les autres objets présentent, sur les sites castraux, une plus grande diversité et un luxe plus ostentatoire.

Bien que les sites reflétant une plus grande aisance matérielle sont d’abord castraux puis monastiques, la vaisselle des sites monastiques n’a rien à envier à celle mise au jour sur les sites castraux. En revanche, le caractère ostentatoire est bien plus marqué sur les sites castraux par la qualité ou la diversité des objets représentés parfois en grand nombre, ce qui est loin d’être le cas pour les sites relevant d’autres fonctions sociales.

Bien qu’il faille nuancer l’idée d’une vaisselle de grande qualité avec la terre cuite, omniprésente en archéologie en regard du verre ou au métal souvent recyclés, ces résultats traduisent toute la pertinence de la céramique comme source explicative dans l’interprétation sociale des sites.

Antécedents
Proposition P2-1  basée sur

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Synthèse historique de la section 1

Définir les aires économiques et culturelles à partir de la céramique impose d’aborder la question : (i) sous l’angle des traditions de fabrication, relevant des innovations, des effets de mode ou de la concurrence entre produits ; (ii) sous l’angle des flux commerciaux régis par les relations entre espaces au sein du BLM et par celles entretenues avec l’extérieur. En effet, la porosité entre espaces de traditions différentes s’observe à partir des échanges de vaisselle dont la capacité de pénétration innovante ou esthétique reste insuffisante pour devenir concurrentielle et donc remettre en cause la structure même des espaces préalablement définis. On peut alors admettre que la céramique, au même titre que d’autres sources matérielles ou écrites, participe à la construction d’aires culturelles pour lesquels les acteurs développent un sentiment d’appartenance, tout en conservant des relations avec l’extérieur.

Pour une compréhension globale de la démarche, en suivant un raisonnement hypothético-déductif, d’inférence déduite des prémisses (de droite à gauche du diagramme), cette section est structurée autour de cette double entrée : (i) tradition de fabrication (Proposition P4-1 et déduites de niveaux inférieurs jusqu’aux P0-1 à P0-59) ; (ii) flux commerciaux (Proposition P3-2 et déduites de niveaux inférieurs jusqu’aux P0-60 à P0-78). En outre, l’ordre donc la lecture des propositions P0 et induites de niveaux supérieurs est autant que possible chronologique, permettant de suivre la transformation des aires culturelles dans le temps long.

Inversement, la courte synthèse historique ci-après suit une lecture empirico-inductif, d’inférence par généralisation des observations (de gauche à droite du diagramme). S’agissant de présenter le raisonnement et les principaux résultats, nous avons fait ici le choix de ne pas remonter jusqu’aux nombreuses données primaires des propositions P0 directement accessibles par ce menu comme preuves du discours.

Traditions de fabrication de la céramique

Les changements dans les traditions de fabrication de la vaisselle en terre cuite entre le 6e et le 17e s. donnent une première image des aires culturelles qui structurent de BLM. Alors que l’héritage antique est encore prégnant jusqu’au milieu du 7e s. (P1-1), c’est à partir de cette date qu’il devient pertinent de parler d’une vaisselle médiévale avec des techniques et des formes génériques qui perdurent pour certaines jusqu’à la période moderne (P1-2). Les transformations techno-typologiques et stylistiques observées à partir du 7e s. et jusqu’au 10e s. redessinent un espace du BLM auparavant assez homogène (P1-1), en deux aires fondées sur des traditions de fabrication distinctes : (i) l’une du sud-ouest avec la Touraine, le Haut-Poitou et plus marginalement le Berry, dont les productions sont de couleur blanc-beige, pour certaines décorées de peinture en bandes et parfois d’une glaçure plombifère ; (ii) l’autre du nord-est avec le Blésois et l’Orléanais dont les productions sont de couleur ocre-rouge, parfois engobées et lissées, mais sans glaçure. La limite entre ces deux espaces passe par une ligne nord-sud quasi-perpendiculaire à la Loire située entre Tours et Blois (P2-1).

Bien que la vaisselle change à partir du 11e s. (P1-5), cette partition en deux aires, blanc-beige et ocre-rouge (P1-3) perdure jusqu’au 15e s. (P3-1). Elle se distingue également au travers des mécanismes de production des récipients (P1-4) avec probablement de petits ateliers pour l’espace sud-ouest et de manière certaine de grands centres de production comme Saran pour l’espace nord-est. En revanche, avec l’apparition de nouvelles traditions céramiques dans le Berry, le Haut Poitou ou le pays Chartrain surtout à partir du 13e s., on assiste à un recentrage progressivement d’un faciès céramique propre au BLM le long de la vallée de la Loire au détriment des espaces limitrophes (P2-2).

Un nouveau changement important dans la vaisselle intervient à l’aube de la période moderne à la fin du 15e s. (P1-6), phénomène qui s’accentue au 17e s. avec l’apparition du grès puis de la faïence (P1-7) donnant l’image d’un espace culturel plus homogène comparé aux périodes précédentes (P2-3). Bien qu’inscrites au moins depuis le début du haut Moyen Âge dans la mouvance d’une tradition céramique de l’Europe du nord-ouest, les multiples transformations des aires fondées sur la céramique du 6e au 17e s. montrent que le changement le plus marquant intervient entre la fin du 15e s. et le début du 16e s. Cette rupture dans les traditions de fabrication annonce un véritable décloisonnement de l’espace du BLM qui s’observe notamment avec la disparition de la partition sud-ouest et nord-est prégnante depuis le 8e s., conséquence de la concurrence de nouveaux produits issus de grands ateliers extrarégionaux (P4-1).

Commerce, flux et échanges de la céramique

En se référant maintenant aux récipients en terre cuite qui ont circulé et non plus comme précédemment aux traditions de fabrication communes à un ou plusieurs espaces du BLM, il est possible d’appréhender le commerce de la vaisselle et indirectement celui de certaines denrées alimentaires en l’occurrence le beurre et secondairement le sucre à partir des emballages utiles à leur transport et à leur conservation.

Les mécanismes d’approvisionnement, notamment des principaux centres de consommation que sont les villes du BLM, révèlent des aires économiques essentiellement locales, ne dépassant gère 40 km (P0-65) et pour les apports exogènes dépendant fortement de la plus ou moins grande proximité des ateliers. Ne sont importés des ateliers les plus lointains, que les récipients les plus ostentatoires ou originaux de leurs productions pour la vaisselle (P1-9) ou ceux adaptés au transport et à la conservation des denrées alimentaires (P1-8).

On observe une certaine stabilité des aires économiques, les réseaux d’échanges n’attestant que de faibles contacts entre la partie sud-est Touraine/Haut Poitou et nord-est Blésois/Orléanais jusqu’à la fin du 15e s., moment où le cloisonnement micro-régional s’estompe pour laisser place à un espace de la Loire moyenne plus ouvert (P2-5). En effet, le commerce de vaisselle majoritairement centré sur la Loire n’entretient de relations qu’avec les régions limitrophes du BLM jusqu’à la fin du 15e s. (P2-6). A cette date, l’apport des productions issues de grands ateliers extra-régionaux parfois lointains comme ceux du Beauvaisis ou de la Puisaye pour la vaisselle (P0-70), de la Normandie et de la Mayenne pour le beurre, d’un espace Loire plus large pour le sucre (P2-4) modifie profondément les réseaux d’approvisionnement à longue distance, le BLM étant alors résolument ouvert sur l’extérieur (P3-2).

Pour conclure et en se référant aux traditions de fabrication comme aux réseaux commerciaux se dessinent des aires économiques locales autour des villes constitutives de deux aires culturelles plus vastes, sud-ouest et nord-est structurant le BLM entre la fin du 7e et la fin du 15e s. Cette image d’espaces cloisonnés d’amont en aval de la Loire moyenne inscrite dans la longue durée est en contradiction avec l’idée d’un fleuve représentant un axe de communication suffisamment important pour lisser tout particularisme culturel local. Il faut attendre la fin du 15e s. pour que s’estompent progressivement ces spécificités principalement locales, le BLM s’inscrivant alors durablement dans les réseaux d’échanges de l’Europe du nord-ouest (P5-1).

Synthèse historique de la section 2

Le mobilier archéologique étant globalement considéré comme un bon marqueur social, il s’agit ici d’évaluer la place de la céramique, vaisselle et emballage, en regard des autres objets à notre disposition comme indicateur du statut des populations résidents sur les sites mobilisés. Bien sûr, les pièges sont nombreux. Pris dans sa globalité le mobilier ne reflète pas vraiment une population socialement homogène mais souvent la présence parmi d’autres d’une population particulière plus aisée avec la présence de mobilier luxueux souvent ostentatoire.

Nous faisons ici le choix d’un classement fonctionnel des sites, préalable à l’analyse de la céramique et plus globalement du mobilier, en quatre grandes catégories : castral-résidentiel, monastique, civil urbain, civil rural. Un autre choix consiste à réaliser une étude diachronique du 6e au 19e s., sans tenir compte d’un découpage en grandes périodes, l’objectif étant ici d’évaluer globalement l’apport de la céramique comme source d’interprétation sociale. Fonder l’analyse sur un corpus périodisé aurait eu pour conséquence d’introduire une grande disparité, une atomisation, voire une quasi-absence de données pour certains types de sites, choix plus négatif que source d’explication pour identifier des grandes tendances entre sites.

La courte synthèse historique suit une lecture empirico-inductif, d’inférence par généralisation des observations (de gauche à droite du diagramme). L’analyse d’abord de la vaisselle en terre cuite à partir des techniques utilisées (P0-1) des décors ostentatoires (P0-2), de la fonction et de l’éventail des formes de récipients (P0-3 ; P0-6), mais également de la présence de récipients en verre et très secondairement en métal (P0-4 ; P0-5) montrent que la vaisselle de qualité se retrouve essentiellement sur les sites monastiques, puis castraux au détriment des autres sites urbains et ruraux (P1-1). L’étude de la consommation du beurre importé de Normandie dont témoignent les emballages retrouvés dans les sites de consommation du BLM va dans le même sens avec une concentration de ces récipients sur les sites castraux puis monastiques (P0-7). Les objets personnels de parures (P0-8), de divertissement (P0-9) parfois très luxueux, d’outillages (P0-10) attestent un clivage socio-fonctionnel des sites, proches de celui révélé par la vaisselle. Cependant, il existe une certaine nuance puisque la grande diversité des objets comme les plus luxueux d’entre eux sont principalement attestés sur les sites castraux au détriment des sites monastiques (P2-1). Bien que cette analyse aille dans le sens d’une hiérarchie sociale des sites largement pressentie, un apport intéressant de cette contribution est la pertinence de la vaisselle en terre cuite (P1-1) par rapport aux autres objets (P2-1) comme source explicative de la place non négligeable tenue par les sites monastiques dans cette hiérarchie, comparés aux sites castraux. Ce résultat est d’autant plus original qu’il est ici étayé par une analyse fine de données issues d’un large éventail de sites.